mardi 24 mars 2009

Feuilleton 2: Le jardin des Crétins

J'avais ouvert ton appétit ici. Gâte-toi! Par soucis de bon divertissement de qualité Flash Gordon te fait un cadeau, encore. Voici donc la suite:





Crête fait partie de la galaxie Conasse, la galaxie de la bêtise. Située à 21 années lumières de Pluton, elle forme aussi depuis quelque deux cents ans une fédération constituée de sept planètes. La Conasse possède un système politique particulier : la médiocratie. Il s’agit du mode de gouvernement le plus évolué de l’univers. En effet, le peuple choisit ses dirigeants au cours d’élections qui ont lieu tous les trois ans. La sagesse populaire est grande mais elle a les limites de son système politique… La qualité des candidats chute constamment. La population vote donc pour celui qui semble le moins médiocre. Qui choisit prend le pourri dit le proverbe crétin. Or, dans un monde où le politicien le moins pourri l’emporte, on devine que la pourriture apparaît au lendemain des élections…

Élection rime avec célébration ! Les Crétins savent festoyer. Chaque scrutin populaire se termine dans une grande fête où tout le monde s’amuse. On boit, on baise, on se défonce, d’un côté pour fêter la victoire politique, de l’autre pour exorciser la défaite.

*
* *

C’est soir d’élection. Tonréel, la capitale de Crête, est en liesse. Ses deux millions de citoyens envahissent les bars et les hôtels. La Crête Hérissée, un bar étudiant très populaire, sert de la broue et des alcools de toutes sortes. Paul Con et sa bande célèbrent plutôt la fin de leurs études. Paul Con est un Crétin. Il est ivre. La broue a un effet diurétique. Il urine. Ses yeux violets fixent le mur couvert de graffitis. Il secoue son membre pour détacher la dernière goutte d’urine. Une discussion animée le sort de sa rêverie.
- Le Parti Dictatorial a gagné, une écrasante victoire des Rouges, je ne l’aurais jamais cru ! J’ai voté pour le Parti Régressif Novateur de Conasse… Chaque fois que je vote pour un parti, il est défait. Je devrais faire des prédictions politiques !
- Ouais ! Moi je te dis que le match de baston était beaucoup plus excitant que cette élection de merde.
« Il a raison », pense Paul. « Le baston captive plus de gens que la chose politique. Seulement cinquante pour cent des Crétins ont voté alors que tout le monde parle du dernier match de baston ».
Ce sport national oppose deux équipes de six joueurs. De chaque côté du terrain, un but se dresse, protégé par un gardien de but. Les joueurs doivent pousser un ballon dans le but. Armés de battes, ils peuvent frapper le concurrent afin de l’empêcher de toucher au ballon noir. Violent jeu.

Paul retourne s’asseoir avec ses amis. Le bar enfumé déborde de fêtards. La crête de cheveux noirs de Paul fait de lui un marginal. Habituellement, les Crétins ont la chevelure rouge, jaune ou bleue. Les jeunes teignent leur crête en noir, en blond ou en brun. Autour de la table, tous ont les cheveux teints. En fait, tous les jeunes dans le bar teignent leur tignasse. Toute la jeunesse à travers la galaxie Conasse colore sa chevelure. La marginalité sort des marges ! Paul prend une rasade de sa broue.
- Dis donc, tu t’es branlé ? N’oublie jamais, si tu te la secoues plus de trois fois, c’est de la masturbation!, lâche Han Kriss, assis à droite de Paul.
Bo Zoo, Bara Tin et Yvo Mi s’esclaffent. Fraîchement diplômés, ils espèrent tous dénicher un emploi bien qu’il n’y ait guère d’opportunités. Yvo Mi a étudié en informatique. Tout fonctionne avec les ordinateurs, du grille-pain au satellite en passant par l’ascenseur. Avant même la fin de ses études, on lui offrait un emploi fort payant. Comble de la prospérité, il est le seul de la bande à ne pas avoir de dettes scolaires. Ses parents paient pour lui. Le savoir coûte cher. L’étudiant crétin moyen obtient son diplôme alors qu’il a trente mille pitons d’empruntés. Han Kriss, Bo Zoo, Bara Tin et Paul Con débutent la vraie vie dans le trou.
- Je lève mon verre à votre santé mes amis, je sais qu’on se sortira du trou, crie Paul un peu plus ivre qu’hier, mais moins que demain.
- Moi je lève mon verre à la fin de ce calvaire!, ajoute Bo.
- Qu’on nous amène du tord boyau!, commande Bara fort éméché.
- Hi ! Hi! Hi!, se moque encore Yvo.
Une plantureuse serveuse vêtue d’un pantalon de cuir noir et d’une moulante camisole blanche dépose cinq verres de rococo sur la table. Bara paie une tournée. La serveuse retrousse sa lèvre supérieure dédaigneusement en regardant son petit pourboire. Bara dit : « Pardonne-moi chérie mais les pitons, c’est fait pour boire, pas pourboire ! Ha! Ha ! Allez cul-sec les amis ». La serveuse retourne au comptoir sans l’entendre. Chacun vide son verre d’alcool de coco d’un trait.

Soudain, la bruyante salle enfumée devient silencieuse. Un écran géant, qui diffuse habituellement des matchs de baston, s’éclaire. Le visage du nouveau Premier Médiocre, le chef du Parti Dictatorial de Conasse, apparaît. À ses côtés, sa mièvre et niaise épouse sourit béatement. Pichou accompagne son mari partout.
- Je, je, je veux remercier tous les électeurs, et particulièrement ceux de Crête, ma planète natale. Chers con… concitoyens, je vous promets de vous décevoir comme il se doit. Je suis un grand médiocrate et toutes mes actions politiques visent à atteindre les plus hauts niveaux de médiocratie. Nonobstant, un vote, pour moi et mon parti, est un vote pour le fédéralisme dans Conasse, d’une étoile à l’autre. Je veux garder la paix sociale à travers la galaxie.
Le Premier Médiocre est très distinct. Sa crête jaune, et surtout frisée, de même que le coin supérieur gauche de sa bouche, qui est paralysé, font de lui la risée des journalistes et du public.
- Dans ce mandat que vous me donnez, chers électeurs, je vous promets de créer des chômeurs… euh!..euh! pardon, de créer des emplois et de produire la prospérité d’antan…
« Aubergiste! On veut de la musique! C’est la fête ou merde?! » Ce cri vient du fond de la salle et la foule réunie dans le bar scande alors : « MUSIQUE! MUSIQUE! ». Devant un tel enthousiasme, le tenancier change la chaîne télé de l’écran géant. Le visage pâle d’un animateur de Musikpluche prend forme. Musikpluche diffuse seulement des vidéoclips ou des concerts. Le brouhaha continue de plus belle. L’animateur présente des clips, aussitôt la musique fait rage, accompagnée d’images saccadées et hallucinées.

- Je lève mon verre au Parti Dictatorial, déclare vivement Han en regardant Paul.
Han est le seul de la bande à connaître le secret de Paul Con. Discret, il n’a jamais dévoilé ce terrible mystère à personne. Han ne comprend pas, mais respecte le désir de Paul de garder une partie de sa vie mystérieuse. Une fois de plus, ils lèvent leurs verres et trinquent.

À la table voisine, trois mâles et deux femelles discutent tranquillement en fumant et buvant. Bara Tin, le tombeur de ces dames, commence à parler à la plus grande des filles. Son regard vert caresse toujours celle à qui il parle.
« Alors chérie, tu viens souvent ici? Tu es très jolie, on te l’a déjà dit?»
Ces douces paroles accentuent son charme naturel. Il lui souffle d’autres mots dans l’oreille. Elle semble tombée sous l’emprise de Bara. De son côté, Bo Zoo écrit des obscénités sur une serviette de papier et la passe à l’autre poulette. « Un coup de dedans dehors, ça te dirait ? Aimerais-tu que j’entre dans ton jardin secret? » Paul regarde Yvo et Han. « Ça sent le grabuge », pensent-ils en chœur.

Deux des types accompagnant ces jeunes pucelles ne semblent pas apprécier le petit jeu des tombeurs. Les problèmes surgissent vraiment lorsque le compagnon de la cible de Bo intercepte la serviette de papier.
« Dis donc espèce de jardinier de mes fesses, tu veux te la farcir ma copine?», déclare-t-il en se levant. Bo répond sagement : « Si tout le monde y consent, je ne vois pas de problème ».
Paul se lève à son tour. Il sent la tension monter.
« Du calme, il n’y a pas de quoi frapper un escargot. Il s’agit d’un malentendu».
Furieux, le type empoigne sa broue et la lance au visage de Paul qui l’esquive. Le liquide mouille un consommateur de la table voisine. Voyant Han, son verre vide à la main, il croit à sa culpabilité et le gratifie d’un coup de poing sur la gueule. Entre temps, le lanceur de broue avance vers Paul. Yvo tend sa jambe et le fait trébucher. Il s’écrase sur la table. Han, le nez ensanglanté, rend la pareille à son agresseur. Et vlan! En pleine poire! Le lanceur de broue se relève et saute sur Yvo. Ils tombent à la renverse sur la serveuse. Son plateau déséquilibré chute et les verres se répandent sur un groupe de gens qui regardent la télé. Trempé d’alcool, un type se retourne et frappe le lanceur de broue. Yvo en profite pour se faufiler, mais la serveuse l’intercepte et le gifle. Elle lui demande de payer pour l’accident. Les deux autres types accompagnant les poulettes empoignent Bara et Bo. Bara prend une baffe sur la tronche. Bo envoie une savate au visage de son agresseur qui l’évite facilement. Il s’écrase sur le sol. Son adversaire lui assène un coup de pied dans les côtes. On ne frappe pas sur quelqu’un déjà par terre. Paul assomme le type qui rudoie Bo. Le portier, un costaud, vient prêter main forte à la serveuse. Elle tient toujours Yvo. Par miracle, une chaise atterrit sur le crâne du portier. Il tombe lourdement, inconscient. Pendant ce temps-là, Bara tente de reprendre le dessus sur son adversaire. La poulette embrasse Bo et elle se sauve avec sa copine. Il a encore son goût sur ses lèvres lorsqu’un verre de rococo fracasse son front. Au même moment, une bagarre éclate dans les toilettes. Yvo se libère et fiche la serveuse par terre. Quelqu’un est projeté avec violence dans l’écran géant du téléviseur. Voyant sa télé brisée, le tenancier appelle la police. Un plat d’amuse-gueules survole la mêlée générale. C’est l’anarchie! Une sirène retentit et une patrouille de police arrive à La Crête Hérissée. Deux policiers entrent. Ils sont aspirés dans la grande bataille. L’un d’eux a tout juste le temps d’envoyer un message à l’escouade anti-émeute. Des sirènes retentissent peu après. Le long sifflement ne suffit pas à arrêter la lutte. Vêtus de leurs armures, bouclier à la main, armés de matraques électriques, deux cents policiers investissent le bar. En moins de temps qu’il n’en faut pour épeler « force policière », ils embarquent tout le monde dans un immense véhicule aéroflottant muni de barreaux. Arrivés à la station de police, ils mettent tous les participants en cellule. Bonsoir! Bonne nuit!

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